Photographe et photomonteur, Nihil travaille sur des thématiques telles que la mort, le mysticisme, l’apocalypse ou encore les hallucinations psychédéliques. Dans ses oeuvres, “l’humain disparait pour se fondre dans l’uniformité divine”.
Il créé aujourd’hui à Oslo, ville qui lui a permis d’intérioriser sa créativité et de mener une vie artistique plus solitaire qui lui convient et qui l’inspire. Nihil nous éclaire aujourd’hui sur sa démarche artistique très personnelle, entre transcendances mystiques et recherche intérieure…

Pouvez-vous nous parler de votre parcours… et de votre immersion dans l’univers créatif ?

 

J’ai commencé à écrire très jeune et je suis resté concentré sur l’écriture presque toute ma vie, jusqu’à il y a six ou sept ans. A l’époque, j’ai ressenti le besoin de trouver d’autres moyens d’expression et de varier les plaisirs. J’ai essayé la photographie mais ça ne laissait pas assez de liberté à l’imagination, je me suis donc orienté vers la photomanipulation digitale pour m’extraire du carcan de réalisme que suppose nécessairement la photographie brute. C’est maintenant l’image qui occupe le principal de mon temps.

 

Pouvez vous nous en dire plus sur l’origine de votre nom… et à quelle période en avez vous pris possession ?

 

J’ai choisi mon nom d’artiste lorsque j’ai commencé à publier mes textes sur internet. A l’époque, personne n’utilisait son vrai nom sur la toile. Le pseudonyme Nihil (« rien » en latin) renvoie à une absence d’identité, une forme d’anonymat. Ces thèmes se retrouvent encore, des années plus tard, dans mes images. Je ne peux plus vraiment, en tant qu’auteur, m’effacer entièrement derrière ma production comme je l’aurais voulu, mais c’était l’idée !

Etes vous un artiste plutôt solitaire ? Votre démarche et univers très personnels laissent-ils place à des collaborations ? Y en a t-il une qui vous a marqué en particulier ?

 

Je suis solitaire par bien des aspects, mais pas du tout au niveau créatif. J’adore m’entourer d’autres artistes, découvrir leurs inspirations et leurs doutes et je n’ai pas de difficulté à partager mes ressources et mes idées… Je ne comprends pas les artistes qui s’imaginent être en compétition, ça me dépasse complètement. J’ai beaucoup apprécié de faire partie de collectifs artistiques à Paris et je m’y suis fait de très bons amis.

Ma plus importante expérience reste ma collaboration avec l’artiste norvégienne Daria Endresen, qui a marqué le début d’une longue aventure et a entraîné mon changement de vie et mon départ pour la Norvège… Je voudrais aussi citer ma collaboration avec l’artiste américain Matt Lombard, dont je suivais le travail depuis mon adolescence. C’était un honneur de travailler avec lui et les choses se sont faites très naturellement.

 

Votre univers mystique et plutôt sombre fait notamment référence à une période post apocalyptique ou encore au monde médical… Quelles émotions voulez-vous transmettre à travers vos oeuvres ?

 

Durant la période de création, je ne cherche pas à transmettre de message ou d’émotion, je me contente de reproduire au mieux l’image que j’ai en tête. Mais avec le recul, à force de me confronter à mes travaux antérieurs, j’ai fini par aboutir à la conclusion qu’ils évoquent systématiquement des personnages en train d’échapper à la réalité, de se délivrer du monde manifesté. Tous mes thèmes se recoupent autour de cette idée : mort, transcendance mystique, apocalypse, hallucinations psychédéliques… D’autres pensent que c’est morbide, mais je n’y vois qu’une aspiration à une réalité supérieure.

 

L’expression artistique serait-elle votre exutoire ?

 

L’art ne me défoule pas, il ne change pas ma vie ni n’améliore ma situation. Ce n’est pas un exutoire, c’est juste qu’il me faut représenter les images qui débordent des barrières poreuses de mon subconscient.


On retrouve beaucoup de visages cachés dans vos oeuvres… Qu’évoquent-ils ? Qui sont-ils ?

 

Les visages cachés ou effacés sont le signe d’un retrait en soi, d’une perte d’identité au profit d’une recherche intérieure. L’humain disparaît pour se fondre dans l’uniformité divine.

 

Pouvez vous nous parler des médiums utilisés et de votre mode opératoire…

La base de l’image est une photographie que je réalise en studio avec des modèles et des accessoires. Le travail créatif vient ensuite, j’utilise Photoshop pour manipuler la photo ou mélanger des parties de photos ensemble. C’est en général à ce stade que l’image prend forme, à mesure que certaines idées se révèlent ou se modifient. Le résultat est souvent assez différent de l’idée d’origine !

 

Parmi vos influences vous citez les peintres du Moyen-Age, en quoi vous inspirent-t-ils ?

 

Je citerai Fra Angelico pour la neutralité sereine de ses portraits de saints et Grünewald pour la raison inverse, la difformité de son Christ qui exprime la transcendance à travers la laideur et la corruption des chairs. La souffrance des corps et la neutralité des expressions sont au centre de mon travail.


Vous avez évolué à Paris pendant longtemps, aujourd’hui vous vivez à Oslo…
Ce changement de lieu de vie a t-il eu une influence sur votre travail ?
Y-a-t-il un artiste ou un courant artistique norvégien qui vous touchent et vous inspirent ? 

 

Mes préoccupations personnelles et les thèmes qui me sont chers n’ont pas changé, mais au point de vue pratique, les choses sont assez différentes. Paris est une ville très active au niveau artistique, il est facile d’y trouver des opportunités d’expositions, des modèles, d’autres artistes… Ce n’est pas le cas à Oslo. J’y mène donc une vie créative plus solitaire, intériorisée, ce qui me convient assez bien au fond.
Mon déménagement en Norvège m’a reconnecté avec ma passion pour la mythologie nordique et j’y ressens la présence vivante de la nature et du grand nord… Mais ces thèmes n’ont pas encore filtré dans ma production. Mes expériences prennent toujours beaucoup de temps à se manifester dans mes créations.


Vous êtes aussi écrivain, quelle passerelle établissez vous entre la littérature et vos photo-montages ?

 

Il y a une inspiration commune très claire entre mes images et mes textes, les deux participent du même univers et je peux facilement utiliser les uns pour illustrer les autres.  L’univers sur lequel je travaille, que je nomme « Ventre », a une identité particulière, une mythologie, des personnages et des factions. C’est un bon cadre pour des textes et des images, même si je ne m’empêche pas d’en sortir si l’envie s’en fait sentir.
J’aime associer les textes aux images et je profite de toutes les opportunités pour les présenter ensemble, lorsque c’est possible.


Au mois d’avril on pourra vous retrouver autour d’une exposition à L’impasse (Paris), quels sont vos projets et envies pour la suite ?

Je vais présenter ma troisième exposition personnelle à la GalleryX à Dublin d’ici quelques jours (le vernissage est le 7 avril) et tout est prêt pour la publication de mon premier livre « Ventre » au printemps. La sortie de ce livre marque la fin d’une étape pour moi et je profite de cette période de transition pour apprendre l’animation, la vidéo et la musique. Le projet c’est d’inclure mes images dans des projets multimédia complets, même si je ne sais pas exactement quelle forme cela prendra. Au niveau des images, je me consacre pour l’instant à ma nouvelle série Atma, inspirée de l’art indien.

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